Le profil idéal du bon débatteur ou de la bonne débatteuse

Sept (7) atouts importants pour le débatteur ou la débatteuse du 21e siècle

par

Narcisse Fomekong

Eldaa Ragnimwendé Koama, Finaliste du championnat international de débat francophone (Liban-2018)

Trente-quatre années se sont écoulées depuis le lancement en 1988 en Australie de l’un des championnats de débat les plus attrayants au monde : le World Schools Debating Championships. Durant toutes ces années, on a vu des débatteurs venus de plusieurs pays se défiler au podium. Toutefois, on peut se demander si les débatteurs canadiens qui ont remporté la première édition en 1988 et la dernière édition qui s’est tenue en ligne en 2021 ont les mêmes profils.  Est-ce que la multiplicité des championnats de débat-éloquence (Championnat de débat francophone du Liban, Coupe panafricaine de débat…) a pour corolaire la diversification des types de débatteurs ? Quel est le profil du bon débatteur contemporain ? Même si les règles peuvent changer selon les formats ou les styles, il n’en demeure pas moins que tous les débatteurs ont des bases communes. Il s’agit ici de décrire sept (7) compétences nécessaires pour être un excellent débatteur ou une excellente débatteuse en 2021. Un bon débatteur est avant tout un bon orateur.


Noé Panvier-Servais, Meilleur débatteur-Championnat international de débat francophone (Liban-2018)

1-Un bon débatteur est un orateur accompli

L’orateur, surtout dans le contexte des jeux oratoires, est toute personne qui prend la parole en public afin d’entretenir les auditeurs sur un sujet particulier dans le but de  convaincre ou de persuader à travers la beauté du verbe. Cicéron, repris par Léopold Malepeyre, distingue trois degrés d’éloquence chez un bon orateur.

Au premier degré, l’orateur à un seul objectif : plaire. C’est  le degré le moins parfait que développe un orateur. Ensuite, nous avons le deuxième degré. Ici, au-delà de plaire, l’orateur ou l’oratrice cherche à convaincre et surtout à instruire : transmettre le savoir. La cause qu’il ou elle défend est très structurée et il ou elle doit déployer des stratégies pour faire adhérer le public à ladite cause. C’est le degré moyen. Enfin, nous avons le troisième degré. C’est le degré supérieur. En plus de convaincre son auditoire, l’orateur amène le public à construire avec lui son discours, à travers le pathos.  C’est-à-dire, les sentiments qu’il partage sont intégrés par son auditoire. Ce dernier rit, pleure, crie etc. avec lui. Le public est entièrement acquis à sa cause. C’est le cas des Mvetteurs ou les mbom-mvett  en Afrique Centrale.

En plus d’être un bon orateur, un débatteur doit être un bon rhéteur. La particularité du rhéteur est de convaincre à tout prix. Très proche des sophistes, il a l’art de bien mentir. Oui,  débattre c’est aussi savoir bien mentir. Toutefois, un mensonge descellé par le juge ou l’adversaire peut être à l’origine de votre échec.

2-L’art d’avoir toujours raison

L’Art d’avoir toujours raison, telle est la phrase importante que doit méditer le débatteur ou la débatteuse. Cette phrase est le titre de l’ouvrage du philosophe allemand Arthur Schopenhauer. C’est l’un des manuels de base que doit avoir un débatteur.  Dans un débat, l’aspect compétitif oblige le débatteur ou la débatteuse à ne pas se laisser faire. Tout le monde à raison. Il s’agit pour le collège adjudant de décider de qui a le plus raison. Ainsi, au-delà de l’apparence physique, de la voix, de la gestuelle et du regard, le débatteur est en permanence en quête des meilleurs arguments, des meilleures  formules d’entrée et de chute,  du meilleur ordre de son argumentaire etc. Pour le faire, il faut développer un autre art, celui de l’improvisation.

3-Le débatteur est un technicien de l’improvisation et de l’anticipation

Le débat se fait sur une motion qui est souvent communiquée un jour avant, une heure avant ou quinze minutes avant, selon le format de débat. Dans le cas du British Parliamentary, c’est quinze minutes avant le débat.  En quinze minutes, vous n’avez pas le temps de faire des recherches approfondies. Vous n’avez pas le temps de développer en profondeur vos arguments, bien que vous ayez sept minutes pour présenter votre speech. Il est donc  impératif de savoir improviser. Alors, même l’improvisation se prépare. Comment se préparer à l’improvisation ?  Entre autres techniques, il faut d’abord développer une capacité à avoir toujours à dire ; pour cela, il faut enrichir son vocabulaire et surtout le diversifier. Cela passe par une pratique régulière des débats, une lecture diversifiée des sources. Ensuite, il faut développer la faculté d’écoute. Souvent dans un débat, vous vous rendez compte que l’adversaire à anticiper en réfutant un argument que vous avez prévu. Vous devez donc être vigilant et pouvoir réfléchir en très peu de temps afin de revoir votre argumentaire. C’est la raison pour laquelle je conseille aux débatteurs de toujours préparer plusieurs arguments aussi bien pour l’affirmative que pour la négative.  Enfin, au-delà de lire, le débatteur doit aussi être un rat des médias : télévision, internet, radio etc. Tous ces éléments  permettent de se cultiver. Un débatteur  très bien cultivé improvise facilement. Se cultiver passe également par la pratique régulière du débat.

4-Etre membre d’une société d’art oratoire

Plusieurs débatteurs ou débatteuses sont des étudiants ou des élèves qui candidatent aux compétitions sans nécessairement faire partie d’un club de débat ou d’une société d’Art oratoire.  Ceci est un frein dans la mesure ou le débatteur ou la débatteuse est obligé.e d’apprendre sur le terrain et en pleine compétition, surtout quand il s’agit des compétitions ou il n’est pas exigé d’être membre d’une association d’Art oratoire. Pour illustrer cette importance d’être membre régulier d’une association dont le but est la promotion des jeux oratoires, je présente deux cas. Le premier est mon propre cas.

En effet, en 2015 j’ai participé au championnat interuniversitaire du Cameroun (CANUD) et gagné le trophée de Meilleur Rhéteur et malheureusement celui du meilleur débatteur m’a échappé. L’une des raisons principales était mon non appartenance régulière à un club ou à une société d’Art oratoire. J’avais appris  durant la compétition. Ce qui  fut une grande entorse dans mes prestations initiales, même si malgré cela, mon coéquipier (Gaétan Guetchuetchi) et moi étions finalistes dans la rubrique débat.

Le deuxième cas est celui de deux  débatteuses Burkinabè, membres de la société Les Débats oratoires. Eldaa Ragimwendé Koama  et Matilde Zerbo , puisqu’il s’agit d’elles, ont terminé le championnat international de débat-éloquence au Liban en occupant respectivement les positions  de troisième en 2018 et première en 2019. C’est le fruit de l’activité régulière dont elles ont bénéficiée au sein de la société Les Débats oratoires fondée par le coach Wendyam Thomas d’Aquin Ouédraogo.

Être membre d’une association d’art oratoire vous permet de vous confronter  régulièrement aux autres débatteurs ou débatteuses et de pouvoir vous améliorer.


Club débat de l’Université de Kansas (USA), Equipe gagnante du championnat national de débat (2018)
Source: site web, The University of Kansas

5-La polyvalence doit être le credo du débatteur contemporain

Un débatteur doit être polyvalent car il est appelé à participer à tous les championnats, surtout s’il veut être le meilleur et rester au bon niveau pendant plusieurs années. Chaque championnat utilise un format de débat particulier. Le format parlementaire britannique, par exemple,  exige aux débatteurs de constituer des équipes de deux (binôme). Les binômes  sont des coéquipiers qui débattent ensemble tout au long de la compétition. Ainsi, il  faut savoir choisir son binôme. Quant au Championnat du Liban, vous pouvez y participer de manière individuelle et vos coéquipiers varient selon le match. Voilà deux championnats avec deux orientations différentes. Il faut donc maîtriser les règles des différents championnats  tout comme il faut  savoir jouer tous les rôles.

Selon l’ordre de passage et selon le format, le débatteur  joue des rôles différents.  Même si chaque orateur a tendance à préférer un rôle par rapport aux autres, le bon débatteur doit pouvoir débattre à n’importe quelle position.  Il doit être capable d’être Premier ministre, Ministre 1, Ministre 2 ou Secrétaire général du gouvernement ; Chef de l’opposition, Député 1, Député 2 ou Secrétaire général de l’opposition. Chaque position demande des aptitudes particulières. Les positions énumérées sont celles que l’on retrouve dans le format de la Fédération Française de débat et du Format de Beyrouth. Le bon débatteur ou la bonne débatteuse doit être à mesure de distinguer ces nuances. Cette maîtrise des spécificités de chaque format passe également par la faculté de  parler plusieurs langues.

6-Un débatteur multilingue ne chôme pas !

Les championnats de débat les plus anciens et les plus courus sont généralement en langue anglaise. C’est durant la dernière décennie que l’on a remarqué la montée des championnats en langues française et espagnole. Cette diversité des  tournois en langue différentes devient un atout pour un débatteur multilingue et un frein pour un débatteur monolingue. Débattre en plusieurs langues vous ouvre les portes de plusieurs championnats. Binyou bi-Homb Marius Yannick, ancien débatteur et aujourd’hui coach et promoteur des pratiques orales nous a confié que l’un de ses atouts fut son bilinguisme (français et anglais).  Si en 2021, deux langues suffisent pour participer aux plus grands championnats du monde, elles risquent de s’avérer insuffisantes dans cinq voire dix ans. Les championnats naissent de plus en plus et la pratique du débat se démocratise. Ainsi, vous gagnerez mieux à diversifier vos atouts linguistiques pour pouvoir conquérir le monde du débat-éloquence qui, avec la pandémie à corona Virus, a basculé au débat virtuel.


Matilde Zérbo, Meilleure débatteuse-Championnat international de débat francophone (Liban-2019)

7-Le débatteur du futur n’échappera pas à l’outil numérique

Apprivoiser l’outil numérique devient incontournable pour les débatteurs. Durant ces deux dernières années secouées par la pandémie a Corona virus, tous  ou presque tous les championnats se sont fait en mode virtuel. L’éloquence virtuelle a subi un essor considérable. Les débatteurs sont restés  dans leur pays respectifs et ont enregistré des vidéos pour soumettre aux comités d’organisation de plusieurs championnats. Ce fut le cas du Concours international d’éloquence de l’université Senghor ou du championnat mondial de débat en anglais (World Schools Debating Championships). Les comités à leur tour envoient aux  juges dispersés dans le monde qui doivent  regarder les vidéos et attribuer les notes.  Même si ces championnats n’ont pas vu la participation du public, un acteur important, ils ont tout de même eu lieu. Les débatteurs n’avaient pas d’autres choix que de se plier au nouveau paradigme. En attendant le retour  aux débats  en présentiel, avec l’admission du public, les débatteurs doivent se résoudre à utiliser  les outils numériques tels que les caméras, les téléphones, les appareils photos etc. pour pouvoir immortaliser leurs prestations et faire vivre leur passion, le débat.

Cette réflexion, sans minimiser l’importance des autres atouts comme la bonne gestion de la voix, l’enchaînement coordonné des gestes et du regard, pour ne citer  que ceux-ci, tente de fournir au débatteur des pistes lui permettant d’arriver au sommet de son art. Le débatteur de ce siècle est un orateur multilingue et polyvalent  qui a toujours raison. Il ou elle sait improviser, s’adapte au numérique et s’entraîne au sein d’une société d’Art oratoire ou d’un club de débat. Car, le débat-éloquence est une gymnastique ludique et intellectuelle qui a des exigences.

Bibliographie

BINYOU BI-HOMB, Marius Yannick, et FIATAM, Jules Ferry, (2011), «Introduction au format de débat parlementaire Britannique », https://www.academia.edu/5358083 /, consulté le 17 novembre 2020.

MALEPEYRE, Léopold, (1827), Résumé de rhétorique et d’art oratoire, Paris, F. Malepeyre.

FOMEKONG, Narcisse, (2021),«Jeux oratoires en Afrique et promotion du patrimoine culturel immatériel», Mémoire soutenu dans le cadre du master Tema+ de Erasmus Mndus, https://www.academia.edu/56828260/Jeux_oratoires_en_Afrique_et_promotion_du_patrimoine_culturel_immat%C3%A9riel_Fomekong_Narcisse, consulté le 20 janvier 2022.  

Schopenhauer, Arthur,(2021), L’art d’avoir toujours raison, 1001 Nuit (réédition).

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